Pages

mardi 27 août 2013

Débordement

Depuis quelques temps, l'appartement déborde. Il y a des tas partout, pleins de choses qui n'ont pas de place.

Il y a un tas de livres et de factures sur mon bureau, un tas de jouets, d'habits et de journaux dans le salon, un autre tas de jouets de factures et de livres dans une autre pièce, et même un petit tas de lettres non ouvertes et d'enveloppes sur le meuble près de la porte d'entrée (ce qui fait qu'un de ces jours, je vais certainement mettre à la poubelle une facture des impôts, et envoyer à la place un prospectus de ma banque).

Comme les choses qui constituent les tas n'ont pas de place, pour ranger, on déplace les tas, ça les mélange un peu, ça ajoute au désordre ambiant, et ça n'arrange rien. Du coup, la maison a un air étrange, pas sale (la maison n'est sale que quand j'y suis seul trop longtemps), mais plein. Les seules pièces qui ne débordent pas sont les plus petites, les salles de bains, les toilettes, et la cuisine, sans doute parce qu'il n'y a pas assez de place pour y mettre un tas...

On pourrait croire que ces tas sont apparus peu à peu. C'est faux. Ils sont venus tout d'un coup. Visiblement, il y eu, un jour, un objet de trop, celui qui a fait déborder la maison.

Pourtant, on s'est agrandis. On est passé de 3 à 5 pièces (par absorption de l'appartement voisin) il y a cinq ans, et cette année, on a gagné une cave. Par ailleurs, l'habitude est maintenant prise, chez nous de jeter au fur et à mesure qu'on achète. Bref, ça n'aurait pas dû se produire.

Donc, voila, l'appartement déborde, et on ne sait pas pourquoi... Heureusement, ça ne va pas durer, mais ça, comme on disait dans "les aventures de Saturnin", quand j'étais petit, c'est une autre histoire....

vendredi 17 août 2012

Navrante anaphore, et fraises au sucre

Avant qu'elle prenne son sens journalistique moderne, et désigne cette feuille de vigne oratoire qui habille une énumération en la faisant débuter par une locution creuse, moi je, ou je remercie, ou je pense particulièrement ce soir, et qui émerveille nos journalistes et blogueurs, l'anaphore était une figure de style raffinée.

La voici chez Verlaine

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.


L’ame seulette a mal au coeur d’un ennui dense,
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
O n’y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents,
O n’y vouloir fleurir un peu cette existence !


O n’y vouloir, ô n’y pouvoir mourir un peu !
Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !

Seul un poème un peu niais qu’on jette au feu,
Seul un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

Et chez Villon, sous une forme plus codifiée

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !


L'anaphore, toutes les figures de style, c'est un peu comme le sucre sur les fraises, sur de bons fruits, et en petite quantité, ça les rend meilleurs encore, mais ça peut aussi servir à masquer la fadeur d'un produit, ou la pauvreté d'un texte.
      

vendredi 6 janvier 2012

J'aime pas l'amour qui fait bing

Je me demande souvent si cela vaut la peine d'apprendre à lire le chinois... Actuellement, ma réponse à cette question est "probablement pas". En terme d'investissement intellectuel, d'efficacité de celui-ci et de gratification qu'on y trouve, le rapport qualité prix me parait très mauvais.

Contrairement à une idée répandue, je ne crois pas que cela tienne à la difficulté particulière de cette langue. Certains aspects du chinois sont certes difficiles (le système d'écriture), mais d'autres sont très simples et réguliers (la grammaire, le vocabulaire courant). Je ne crois pas non plus que cela vienne de la distance culturelle. Comment expliquer, alors, que le français paraisse plus facile à apprendre pour un chinois que le chinois pour un français?

A mon avis, le problème tient à la façon dont le chinois est enseigné, et en particulier à l'idée, sans cesse répétée, que l'on ne peut pas comprendre (quand on est étranger) et qu'il n'y a pas de règles  générales - bref que le chinois n'est composé que d'usages et d'exceptions, sans règles générales accessibles à un non-chinois.

Du coup, l'apprentissage ne repose que sur la mémorisation. Le niveau se juge par le nombre de caractères qu'on a mémorisés et le nombre d'expressions figées qu'on peut citer de mémoire. L'examen de chinois (le HSK par exemple) est un mélange de dictée et de récitation, auxquels les notions usuelles de compréhension (orale ou écrite) de version ou de thème s'appliquent mal. Et les textes chinois que l'on peut lire sont ordonnés selon le nombre de  caractères utilisés.

C'est cette manie de la mémorisation qui rend l'apprentissage du chinois si long et inefficace. Imaginons que l'enseignement du français se concentre autour de la lecture et de la récitation du dictionnaire. Non seulement cela prendrait un temps fou, mais les apprenants, connaissant mal la grammaire, s'exprimeraient très mal, même aprés des années d'étude, un peu comme les francais qui ont appris le chinois...

On objectera que c'est ainsi qu'on apprend le chinois est aux petits chinois. C'est possible (encore que...). Mais il y a une grande différence entre apprendre à un enfant à lire sa langue maternelle, et apprendre à un adulte une langue étrangère. Sinon, l'Alliance Francaise utiliserait la méthode Boscher, et les étudiants en français commenceraient par deux ans de "toto rata le roti".

Une autre objection est que le chinois n'a pas de grammaire, ou de régularité, alors qu'en français la grammaire est très régulière. Pourtant, le français est bourré d'exceptions, et la structure de la phrase chinoise est très régulière (en particulier en chinois littéraire). Pire, la majorité des caractères (80% du Kangxi Zidian) comprennent un composant phonétique (parfois approximatif). En enseignant ces phonétiques AU DEBUT de l'apprentissage, on économiserait beaucoup de mémoire et de temps.

Cette insistance sur le par coeur est à la fois idéologique et atavique. Idéologique, parce que cette idée que le chinois ne peut être maîtrisé par un étranger (et encore, imparfaitement) qu'au terme d'un très long et douloureux chemin, non content de flatter l'égo des chinois et des sinologues, justifie cette différence culturelle entre Est et Ouest, irréconciliable me dit on, qu'on invoque à tout bout de champ. Atavique, parce que, côté chinois, la mémorisation brutale des classiques était à la base du système mandarinal (semblable en cela à l'enseignement de la médecine en Europe), et que, côté français, cette méthode aboutit à sélectionner, parmi tous les étudiants, ceux qui aiment apprendre de cette façon, qui transmettront à la génération suivante "ce qui a marché pour eux".

Pour un français, cet enseignement par la mémoire fait de l'apprentissage du chinois une activité assez pénible, mais surtout très frustrante. Plus on "progresse" plus les mots qu'on devrait mémoriser sont rares, et donc plus il devient difficile de se les rappeler. Egalement, comme les régularités du langage ne sont généralement pas enseignées (je connais des chinois et des sinologues qui affirment qu'il n'existe en chinois aucune règle grammaticale), on continue à faire, même après des années des "erreurs de débutant", sur lesquelles la seule explication qu'on reçoit est "c'est comme ça".

Je vois dans cette éducation par la frustration une explication à la passion qu'on retrouve chez de nombreux étudiants en chinois, et à l'admiration que cet apprentissage suscite. A long terme, elle exerce un effet délétère, et provoque peut être cette tendance à l'extrémisme qu'on rencontre chez certains sinologues d'un certain âge.

Pour moi, à bientôt cinquante ans, et après plus de 25 ans de chinois, je crois que l'heure de la retraite a sonné.

mardi 27 décembre 2011

Au bout du chemin, le kitsch

Face à l'océan, des fleurs au printemps


A partir de demain, être un homme heureux
Elever des chevaux, fendre du bois, voir le monde
A partir de demain, faire attention à mes récoltes, à mes légumes
Avoir une maison, face à l'océan, des fleurs au printemps

A partir de demain, écrire à tous mes proches
Raconter mon bonheur
Cet éclair de joie, ce qu'il m'a appris
Le dire à chacun

A chaque rivière, à chaque montagne, donner un nom chaleureux

Etranger, pour toi aussi, je fais ce vœu
Je te souhaite un avenir radieux
Je te souhaite un mariage heureux
Je te souhaite le bonheur en ce monde

Moi, je veux simplement
Faire face à l'océan, et des fleurs au printemps.

(13/1/1989)

Face à l'océan est l'oeuvre la plus connue de Haizi. Ecrit quelques semaines avant le suicide du poète, il est difficile de l'abstraire du destin de son auteur. Il y a très peu de témoignages sur Haizi. Il vivait caché, presque reclus, dans la banlieue nord de Pékin. Enseignant le jour, écrivant la nuit. Un poète plus âgé m'a raconté qu'un jour où il donnait une conférence à l'Université de Pékin, on lui avait montré, tout au fond de la salle un petit bonhomme caché dans l'ombre, qui était arrivé au début, et parti juste à la fin de son intervention. On a quelques photos de lui, où il ressemble à la plupart des étudiants de sa génération, mais aucun enregistrement. On en sait pas comment il lisait ses poèmes.  


Certainement pas comme cela, en tous cas...

http://v.youku.com/v_show/id_XMTA4OTY4NzQw.html

Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli. (Milan Kundera)


Enfin, pour ne pas rester sur cette impression, voici Gucheng récitant deux de ses oeuvres...

lundi 11 juillet 2011

Millenium

J'ai fini hier le troisième tome de Millenium. Je suis content que ce soit le dernier, j'ai dû m'y reprendre à deux fois.

Il y a du Luc Besson chez Stieg Larsson. Il y a d'abord l'histoire, efficace mais un peu courte, qu'on délaye dans un fatras d'intrigues secondaires pour arriver au format désiré. Il y a ensuite les personnages, tellement étranges et hauts en couleur qu'il est difficile de leur donner un caractère crédible et un peu d'épaisseur. Après trois tomes de 700 pages, on s'aperçoit qu'on ne connait pas vraiment mieux les héros qu'à la fin du troisième chapitre du premier volume. Mais il y a aussi, comme chez Besson, un véritable talent qui fait qu'on ne s'ennuie pas, qu'on continue chapitre après chapitre, même si on se doute qu'on sera un peu déçu à la fin, et qu'on n'est en présence ni d'un grand roman, ni d'un grand film...

En fin de compte, cela donne l'impression d'une oeuvre un peu paresseuse, qui part d'une bonne intrigue (une enquête sur une disparition ancienne), et d'un personnage étrange (Lisbeth), mais s'essouffle assez vite, parce qu'à défaut de creuser ses personnages et les histoires, Larsson se lance dans une surenchère de personnages (notamment de méchants) de moins en moins crédibles.

Au fil des volumes, les situations et les personnages "normaux" disparaissent, pour laisser la place à une galerie de monstres en bocal, de Zalachenko à Niedermann, en passant par Clinton et Gullberg, qui évoluent dans un décor minimaliste. Le rôle des protagonistes (Mikael et Lisbeth) se réduit de plus en plus. Dans le troisième tome, ils agissent à la façon d'un "narrateur dans l'histoire", qu'on regarde découvrir les évènements racontés au chapitre précédent.

Et tout ceci est dilué dans une série de faits divers (le travail d'Erika, les enquêtes de Millenium, le chirurgien et Lisbeth) sans grand intérêt parce que très convenus.

Autre aspect que j'ai trouvé agaçant, le côté moralisateur. Dans les trois romans, les gentils sont bohèmes, libertaires et bisexuels (ou à tout le moins polyamoureux), les méchants sont bourgeois, homophobes et sexistes. Cette morale victorienne à l'envers surprend, voire charme, au début, mais se révèle rapidement aussi convenue et ennuyeuse que ce qu'elle prétend critiquer.



On y trouve peut être une leçon sur l'écriture. La tentation de mettre en scène des personnages exceptionnels, ou des évènements incroyables, est toujours grande. Mais, à moins d'avoir énormément de talent, il faut y résister, sous peine de voir les personnages et les évènements cannibaliser l'oeuvre...

Mais bon, si vous ne l'avez pas fait, lisez Millenium, le premier volume au moins. C'est au roman ce que les films avec Bruce Willis sont au cinéma, et moi j'aime bien Bruce Willis.

lundi 23 mai 2011

L'Art muet

Les poèmes, les morceaux, les peintures que j'aime ne s'adressent pas à mon intelligence ou à mon sens moral. Ils ne demandent pas à être compris, ne cherchent pas à faire réagir, encore moins à faire réfléchir.

Je n'aime pas les oeuvres où l'auteur (ou l'interprête) m'interpelle, essaie d'entrer en contact avec moi, de me dire quelque chose, ou de me provoquer. L'Art disparait quand il se sent investi d'un message, ou d'une mission.

L'Art, ça ne dit rien, et ça ne sert à rien...

Ou plutôt, ça ne devrait rien dire... La "création contemporaine" ne cesse de revendiquer cet engagement, cet art "politique", qui cherche à provoquer le bourgeois, comme le style pompier cherchait à le flatter. C'est peut être cet académisme à l'envers qui  a provoqué la faillite de l'art moderne (il est difficile d'éviter le mot faillite quand l'art est déconnecté du grand public depuis un siècle, et n'a plus d'autre fonction sociale que de servir de placement défiscalisé, ou de loisir subventionné d'une élite).

Peut être que cela tient à l'aspect commercial de la chose... Au fond, une oeuvre destinée à être vendue comme un produit de luxe doit dire à ses clients potentiels : "achète moi, je ne suis pas pour tout le monde". D'où cette idée d'un art pour connaisseurs, qui flatte l'intelligence de l'acheteur, en l'isolant de la masse "qui n'y comprend rien". Et une oeuvre bénéficiant d'une subvention d'Etat à la création est obligée de dire à son patron : tu as bien fait, regarde comme je suis invendable...

Et derrière l'aspect commercial se cache, forcément, un caractère utilitaire. Si on l'achète, l'oeuvre doit servir à quelque chose: à nous provoquer, à nous faire réfléchir, à nous donner des leçons (tout en s'en défendant). Le cinéma est probablement le meilleur exemple de cet art à message: il faut absolument qu'un film "dise quelque chose", et le format court ne permet pas beaucoup de nuances (il suffit de constater, dans les romans portés à l'écran, l'appauvrissement des personnages).

C'est peut être ce qui expliquerait pourquoi la poésie contemporaine, qui n'a rien à vendre, est nettement moins élitiste que les arts plastiques...

mercredi 27 avril 2011

La nuit dans une goutte

La nuit dans une goutte
Toute la nuit dans une larme

Une larme sans nom
Larme grandie au village
Volant dans la nuit du village
Sur la colline, quelques herbes d’hiver

J’ai vu le roi dragon des quatre mers
     Au-delà du crépuscule
Qui soulevait un morceau de ciel
A noyer les tourterelles
Noir comme la mer, la nuit

La mer t’a jetée sur la côte
La nuit dans une goutte
T’a jetée dans mes bras
Ensemble jour et nuit
Idiots et ivres

Dans une larme, il y a son sourire
Comme les étoiles qui brillent dans la nuit
Ces inconnus ont attaché leurs chevaux
Dans les grands bois et les champs de la reine

                          Haizi

mardi 26 avril 2011

Hyènes dactylographes

Cette année, pour Pâques, nous avons un beau fait divers.

Un père de famille, de bonne famille, aurait tué de sang froid son épouse et leurs quatre enfants, avant de cacher leurs corps dans le jardin et de disparaître. C'est sordide, comme tous les faits divers.

Depuis une semaine, les médias nous en abreuvent à jet continu. Et comme l'enquête est en cours, et progresse lentement (ce qui est normal), on recycle, on enquête et on assiste à une lente descente vers l'ignominie...

D'abord, on a eu des informations simples, factuelles, la famille, ses origines, des parallèles avec d'autres affaires. Puis, on a commencé à voir des "témoignages", d'amis, de proches, ou de personnes éloignées. Les protagonistes étant présentés comme discrets, ceux-ci étaient peu nombreux...

Aujourd'hui, ce sont les traces internet que les journalistes "exploitent". Peu à peu, on nous déballe les confessions, les commentaires, toutes ces choses qui auraient dû rester privées, mais que l'internet rend accessibles. Les intéressés ne vont pas s'en plaindre: ils sont morts.

Ca n'a, bien sûr, aucun intérêt pour l'enquête, ça ne participe pas d'une nécessité d'informer "le public" (il n'y a rien de légitime à détailler les aspects sordides d'un fait divers), c'est juste du voyeurisme, du même tonneau que celui nous fait regarder les accidents de la route. Et ce déballage n'est pas le fait d'une "certaine presse", mais de grands quotidiens nationaux ou régionaux, ou d'hebdomadaires sérieux. Le quatrième pouvoir, comme ils disent.


Voici plus de 15 ans que je suis sur Internet. Je n'utilise pas de pseudonyme, et n'ai jamais réussi à en avoir peur: je m'y sens anonyme dans la foule.

Cette affaire montre peut être le vrai danger d'Internet. L'ennemi, ce n'est pas le fonctionnaire totalitaire, le tueur en série ou le DRH inquisiteur, mais le journaliste en mal de copie...


Heureusement, la presse va mal. Les tirages s'effondrent, les revenus baissent, la lecture s'étiole. Pourvu qu'elle crève, et vite !

mardi 22 mars 2011

Incapable!

En fouinant sur l'Internet, j'ai trouvé cette traduction du Pont Mirabeau, d'Apollinaire, par Richard Wilbur, un poéte américain.

Under the Mirabeau Bridge there flows the Seine
            Must I recall
    Our loves recall how then
After each sorrow joy came back again
            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

Hands joined and face to face let's stay just so
            While underneath
    The bridge of our arms shall go
Weary of endless looks the river's flow

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

All love goes by as water to the sea
            All love goes by
    How slow life seems to me
How violent the hope of love can be

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

The days the weeks pass by beyond our ken
            Neither time past
    Nor love comes back again
Under the Mirabeau Bridge there flows the Seine

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay
Je l'ai lue, dans ma tête, à voix basse, puis haute, puis dans ma tête encore, j'ai fermé la page, j'y ai repensé, j"y suis revenu, je l'ai relue, j'ai voulu faire autre chose, je n'y suis pas arrivé.

Le sens est préservé, la structure des rimes, l'ordre des mots, ce découpage étrange des phrases en vers, parfois ambigu, qui renvoie à cette eau, et ce temps, qui s'écoulent. On dit que la poésie est intraduisible, c'est faux.

On m'a raconté l'histoire d'une étudiante en lettres qui disait : "autrefois je voulais écrire des romans, et puis j'ai lu Anna Karénine". Avant, moi, je voulais traduire...

mercredi 16 mars 2011

Courage, vendons!

On dit que c'est dans l'épreuve qu'on reconnait ses amis. On dit aussi que c'est face à la catastrophe que les individus révèlent leur courage. Les évènements du Japon me paraissent démontrer l'inverse. Scènes vues sur le bout d'Internet où je traîne.

Sur les forums chinois, la réaction initiale semble avoir été la joie. Haineuse, vulgaire et nationaliste... Toute répugnante qu'elle soit, cette réaction n'est pas complètement étonnante. La lutte anti-japonaise est un des mythes fondateurs de la République Populaire (je dis mythe, parce pendant la plus grande partie de la guerre, les Communistes étaient installés dans le Nord Ouest, loin des campagnes militaires et des zones envahies). Des centaines de films, de séries télé, ont montré sous tous les angles la cruauté japonaise et le courage des chinois (et, jusqu'en 1998, la corruption des nationalistes, on en parle moins maintenant). Imaginons que depuis cinquante ans, un film français sur deux ou trois raconte les gentils résistants et les méchants nazis, avec des scènes extrèmement explicites, nous n'aimerions pas nos voisins allemands. Ajoutez à cela le patriotisme braillard prôné depuis quelques années par le gouvernement comme remède à la crise. The last refuge of scoundrels, comme disait l'autre.

Comme souvent sur l'internet chinois, des consignes sont rapidement descendues. On a vu fleurir, un peu partout, une information, toujours la même, appelant à la modération. Pour ce que j'en ai compris, elle est le plus souvent interprétée comme "réjouissons nous, mais ne le disons pas trop fort".

Depuis deux jours, le discours ambiant, c'est la peur de la radioactivité, et ces salauds de Japonais qui nous polluent.

La grande absente, c'est la compassion. Comme je le disais à une amie chinoise qui s'en désespérait, il est parfois difficile d'aimer la Chine, quand on sait le chinois...


Le même mélange de schadenfreude, de décence hypocrite, et d'égoïsme, se retrouve dans les milieux d'affaires. Les premiers jours, ils ont vendu, les cours se sont effondrés, puis ils ont "chassé les bonnes affaires" (qu'ils avaient créé la veille, qu'on ne me dise pas qu'il faut du talent pour spéculer en Bourse quand on est un gros opérateur). Ces montagnes russes, très rentables, vont probablement continuer quelques semaines. La pire des situations, pour un financier, ce sont des cours qui ne bougent pas. Une bonne catastrophe naturelle, une crise, une famine, en revanche...

L'industrie n'est bien évidemment pas en retard. La présidente d'Areva, Anne Lauvergeon, a réussi a dire, en l'espace de trois jours, que tout allait bien, qu'il n'y avait pas de risque, puis que c'était très grave. Quand elle déclare, ensuite, que le nucléaire français est sûr, ces propos visionnaires n'aident pas...

EDF n'était pas en reste, puisqu'elle communiquait ce matin sur l'aide qu'elle apporte au Japon. C'est bien de le faire, mais s'en vanter, quand on le chantre du tout atome?


Enfin, toujours sur l'internet, il y a les médias. Comme les financiers, ils ont horreur du calme. L'époque était déjà rentable, il y avait les élections, Marine, Khadafi,... Le Japon, ce sont des informations en continu, des rumeurs, des démentis, de nouvelles rumeurs, des interviews d'experts, des commentaires d'internautes, des micro trottoirs, et donc, de l'audience ! A Singapour, Mediacorp, un grand groupe d'information a envoyé aux annonceurs un courrier les invitant à "profiter de l'audience créée par les évènements". L'affaire a provoqué un petit scandale, et Mediacorp a dû s'excuser. En France, mention spéciale à Lagardère, qui annonçait aujourd'hui le report de l'introduction en bourse de Canal +.


Enfin, il y a nos politiques. Nathalie Kosciusko Morizet, plus jeune qu'Anne Lauvergeon, mais apparemment guère plus futée, semble prise d'une frénésie de communication. Trois fois par jour, elle fait une déclaration, qui reprend ce qu'on lit sur l'internet. Tout naturelle, ceci lui a permis de passer de la confiance la plus béate, au catastrophisme le plus affligeant. Les Verts ont flairé l'occasion, à une semaine des cantonales, d'exploiter une actualité écologique. Et voila-t-y pas qu'on nous compare Fessenheim et le Japon...


Pendant ce temps, les japonais comptent leurs morts dans la dignité.


Sur mon internet, il n'y a qu'un endroit qui m'a fait plaisir: le site d'un jeu vidéo sur la Guerre du Pacifique. Une large partie des membres sont des militaires, d'active ou en retraite, surtout américains, qui rejouent Pearl Harbor et Guadalcanal toute la journée. Là, des messages de sympathie sont apparus dès le premier jour, des appels à aider le Japon, et surtout un hommage à ce peuple, courageux et digne dans l'adversité.