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lundi 13 septembre 2010

Statistiques littéraires

C'est magique Word... Il y a un bouton statistiques, qui nous donne plein de chiffres qu'on ne sait pas exploiter. Grâce à lui, j'ai appris que

- Le roman que je traduis fait 275 500 caractères
- Je traduis environ 10 000 caractères par semaine, ou 1500 par jour
- Dans sa version actuelle (un peu plus qu'un mot à mot, un peu moins que du français), 1000 caractères représentent 750 mots, donc je traduis environ 1125 mots par jour...
- Ce soir, j'ai déjà traduit (dans mon mot à mot) 99 456 caractères, ce qui représente (en francais) 75 493 mots, ou 343 886 signes (hors espaces), ou 418 881 signes avec espaces.
- et cent pages, 700 paragraphes, 5000 lignes

Le bouton est bien nommé, c'est des vrais statistisques ça: impressionnante, apparemment rigoureuses, mais totalement inexploitables.

Maintenant, ces statistiques ne sont pas inutiles... En y réfléchissant, on apprend des choses...

1- Que le roman traduit, devrait comprendre près de 210 000 mots, cela devrait en fait être un peu moins, car la version finale est toujours un peu plus compacte que le mot à mot. Au total, ca nous fait quand même dans les 800 pages, un beau pavé...
2- Qu'au rythme actuel, une passe de traduction, prend environ 28 semaines, soit un peu plus de 6 mois. J'envisage trois "passes" (une première traduction complète en mot à mot, une relecture texte chinois sous les yeux, pour en faire un français correct, puis une troisième relecture franco française, pour le style et les notes), donc ca nous fait 18 mois
3- Que, toujours au rythme actuel, je traduis environ 28 pages (de français) par semaine (ou 4 par jour)

Ce qui me fascine, c'est que de toutes mes activités, la traduction est probablement la plus quantifiable. Je serais incapable de produire de telles statistiques pour mon activité professionnelle...

C'est curieux, quand on y pense la productivité informatique se mesure mal, la productivité littéraire plutôt bien...

dimanche 12 septembre 2010

Divisions administratives

En Chine contemporaine, il y a quatre niveaux de découpage adminitratif

le niveau provincial 省级 (30 provinces)
le niveau préfectoral 地级 (333 "préfectures")
le niveau cantonal/du district 县级 (environ 2850 districts)
le niveau communal 乡级 (environ 40 000 communes).

En dessous, il y a un niveau villageois 村级, qui comprend plus de 700 000 villages et villes, mais n'est pas un découpage officiel. Il existe néanmoins pour la poste, le recensement, et les structures du Parti, et on a des chefs de village et des sécrétaires locaux du Parti.

A chacun des 4 niveaux se trouve un gouvernement (政府), avec un gouverneur, des vice-gouverneurs, et une structure du Parti, dirigée par un secrétaire (ou un premier secrétaire). Chaque entité a une capitale ou chef lieu, ou siège de gouvernement.

Dans la pratique, chacun de ces niveaux a des noms différent suivant qu'on est dans les villes, les campagnes ou dans des régions de minorités ethniques. Dans les campagnes, les quatre niveaux sont :

- la province (省)
- la préfecture (市) qui correspond à la grande ville la plus proche (市 désigne aussi une municipalité)
- le canton/district (县) c'est le niveau local important
- le village/la commune (乡)

Les dictionnaires chinois donnent les traductions suivantes: 县=district, 乡=canton. En anglais, on fait 县=county, 乡=township.

A titre de comparaison, voici le découpage francais :

Regions (26) / Départements (100) / Arrondissements (342) / Cantons (4 000) / Communes (36 000)

Le même découpage en communes, cantons et arrondissements existe en Belgique, La Suisse a des cantons, divisés en districts et en communes. Le Québec des comtés (counties) et des municipalités.

Pour traduire ce découpage, je suis assez tenté de conserver les quatre niveaux : province / préfecture / canton / commune (quitte à ne pas utiliser les traductions officielles, j'avoue ne pas toujours comprendre cette volonté toute chinoise de réglementer les traductions). On dira donc :

省 : province, provincial, son siège est la capitale provinciale, elle est dirigée par un gouverneur
市 : préfecture, son siège est la municipalité/ville, elle est dirigée par un préfet (?), ou un maire quand il s'agit d'une ville
县 : canton, son siège est le chef lieu de canton, et on a un chef du gouvernement cantonal
乡 : commune, ou village, le chef est un maire.

mardi 31 août 2010

Victime désignée

Réunion ce matin. Elle n'a duré que deux heures, mais son coût a dû être prohibitif... Nous étions trois, et il devait y avoir 8 représentants du client autour de la table. Le chef de projet, son adjoint, un informaticien au rôle indéterminé, un chargé de liaison avec un autre intervenant, et la direction scientifique du client en force (la chef, la sous chef, et deux grouillottes), il en manquait encore un ou deux, présents en pensée, car encore en vacances (je ne sais pas combien de vacances ils ont... depuis Mai, ils sont tous là à mi-temps...)

Les trois points de l'ordre du jour auraient dû être traités par e-mail: deux demandes de fourniture d'informations (déjà acceptées par téléphone), et une question méthodologique (préciser une méthode de calcul sur laquelle on bavasse depuis 3 mois...). Mais une réunion ça ne se refuse pas.

Et effectivement, on a eu une belle réunion. Ca a commencé par le traditionnel tour de table. Chacun se nomme et dit ce qu'il fait. J'adore cet exercice, parce qu'il est profondément inutile : en fin de réunion, on a oublié le nom des quelques intrus qu'on ne connaissait pas avant et qui n'ont de toutes façons pas ouvert le bec, et on se souvient des autres, vu qu'on les connaissait avant... Mais c'est la tradition, c'est important la tradition, ça fait gagner les batailles (ou peut être que ce sont les rangers bien cirées, je ne me souviens plus...)

Le vrai intérêt du tour de table, c'est que ca permet à la puissance invitante de se dispenser d'introduction : quand chacun s'est présenté, il devient très facile de passer la parole à la personne de son choix. Ca lui évite un début d'autant plus laborieux qu'elle est consciente de l'inutilité de la réunion (les deux premiers points sont déjà réglés par téléphone, et elle devine comme moi la décision qui sera prise sur le troisième).

La puissance invitée prend donc la parole, et commence à se plaindre. Ca aussi, c'est une tradition : dans toute bonne réunion, le fournisseur doit geindre, se plaindre et se faire plaindre. Plus la réunion est inutile, plus il faut le faire : cela convaincra le client qu'il a bien travaillé, en "remotivant" son interlocuteur (plus on monte dans la hiérarchie, plus les cadres considèrent qu'ils ne sont pas chargés de travailler mais de motiver leurs équipes, leurs fournisseurs, leurs partenaires... c'est presque la définition contemporaine du management)

Après ce second intermède conventionnel, on entre dans le vif du sujet: le premier point de l'ordre du jour. Dès l'énoncé, un mouvement de panique parcourt la direction scientifique. La demande les concerne, et est assez banale, il s'agit de produire un document assez simple et dont l'intérêt est manifeste. Mais elle implique du travail, pas mal d'attention, et donc des risques de se tromper. Il ne s'agit pas de coordonner, de diriger, mais bien de faire, de produire...

Le chef de projet jette un regard placide: c'est une demande simple, de bon sens, aucun problème. Il la trouve d'autant plus simple qu'elle n'est pas de son ressort. Chez les scientifiques, la tension est palpable, chacun regarde son voisin, espérant qu'il réponde. L'un des responsables commence une explication torturée sur la difficulté de la tâche, l'impossibilité d'une réalisation rapide... Le fournisseur tient prête la réponse cinglante qu'il a préparée (ce matin devant sa glace) à cette objection banale.

Quand tout d'un coup, le miracle se produit.Une des grouillottes, arrivée récemment et peu au fait des traditions professionnelles, explique qu'elle va s'en charger. Dix sourires cruels se tournent vers elle: voici la victime !

Maintenant que quelqu'un s'en charge, chacun s'accorde a déclarer la tâche prioritaire. La malheureuse victime accepte les délais ridicules qu'on lui donne. Le point un est expédié en deux temps trois mouvements.

On passe au second point, il faut également travailler, mais la panique est retombée. Instantanément, tous les regards se tournent vers la victime. Je ne sais pas si elle se rend compte. Peut être croit elle que c'est sa chance... J'ai un peu honte.

De toutes façons, même si elle comprenait, la dynamique est en place, elle ne peut maintenant y échapper : toute demande impliquant un travail ingrat ou dangereux lui sera confiée. Et en récompense, elle sera probablement chargée du compte rendu de cette réunion, qui consacre sa défaite.

Heureusement, l'ordre du jour n'a que deux points laborieux. Le troisième, méthodologique, implique forcément ses chefs. Il s'agit de penser, de parler de mathématiques, là, les grouillots se taisent et écoutent la Parole.

La directrice scientifique prend donc la parole, pour expliquer que, revenant de vacances, elle n'a pas réfléchi au problème. Ca détend l'atmosphère mais c'est une mauvaise ouverture... Elle espère peut être qu'une bonne âme fournira une solution toute prête. Peine perdue. La réunion s'achève sur la demande d'un délai de réflexion, forcément accordée.

Le chef de projet peut alors conclure, expliquer que c'était une réunion nécessaire et utile, qu'il reste à notre disposition pour en organiser d'autres (ben voyons!).

Tout le monde se quitte, je suis un peu triste pour la victime. Elle va maintenant écoper de toutes les sales missions. Si j'étais courageux, je lui dirais, démissionne, vite, ta vie va devenir un enfer...

Combien de temps tiendra-t-elle?

jeudi 26 août 2010

Wargames

Peut être le plus étrange de mes passe temps...

Je ne suis pas passionné par les armes et les soldats, je n'aime pas les films de guerre, je garde un souvenir mitigé de mon passage sous les drapeaux, je n'ai pas un goût prononcé pour l'ordre social, les hommes les vrais m'ennuient, comme pas mal de sujets virils (à commencer par le foot et la mécanique).

Et pourtant, périodiquement, je reviens aux wargames, avec leurs cartes à hexagones, leurs petites pieces en carton bon marché, les affreux dessins de leurs couvertures, leurs noms un peu ridicules, leur intérêt suspect pour l'armée allemande et ses unités d'élite, pour les caractéristiques techniques des systèmes d'armes et le détail des ordres de bataille...

J'y suis venu, à l'adolescence, par les jeux de sociétés. Les wargames étaient des jeux compliqués, bien plus que tout ce que j'avais rencontré jusque là. Maîtriser cette complexité, en lisant des règles de la taille d'un livre (et écrites en anglais...), mener des parties, solitaires, pouvant s'étaler sur des semaines, me paraissait un défi bien plus intéressant que lire un gros livre, progresser en sport, ou réussir en classe. Ensuite, sont arrivés les jeux de rôle, tout aussi prenants et complexes, mais plus acceptables socialement. Alors j'ai rangé mes wargames.

Ils sont revenus dix ans plus tard. Avec le temps, et l'amour des maths, l'intérêt s'était déplacé. J'aimais en eux les modèles complexes, capables, au travers de règles déterministes, de simuler des évènements imprévisibles, et de forcer les joueurs a adopter un comportement "historiquement plausible". J'aimais aussi cette implication gratuite, le temps passé à apprendre les règles d'un seul jeu, puis à jouer patiemment, des jours, des semaines...

Plus que les jeux, c'étaient les systèmes, leur variété, qui me plaisaient. Alors, je me suis mis à collectionner de plus en plus de jeux. J'essayais de jouer certains, d'autres étaient juste lus, d'autres enfin, gardés, pour des jours meilleurs, ou achetés pour la beauté de la collection. A la fin j'en avais plus d'une centaine, qui occupaient le grenier de ma maison.

Et puis, un jour, j'ai quitté cette maison, en laissant derrière tout ce qui prenait de la place: mon piano, mes livres, mes partitions, mes wargames... J'ai recommencé une vie où il n'y avait pas de grande pièce vide au grenier, pas de piano, ni de partitions, juste une petite bibliothèque avec quelques livres. Une vie sans wargames, où des nouveaux centres d'intérêt avaient remplacé les précédents.

Je ne crois pas qu'on puisse refaire sa vie, encore moins en changer. Certains goûts, certaines passions, connaissent des éclipses, mais reviennent forcément car ils nous définissent. Dix ans plus tard, j'ai eu une maison avec un grenier, et de l'espace sur mes étagères. Et cette année, en Février, j'ai acheté un piano. C'était certain, les wargames allaient revenir...

C'est arrivé la semaine dernière. De façon un peu inattendue, toute ma collection est réapparue chez moi. Toutes ces boites moches, qui sentent le renfermé après avoir passé 10 ans dans un grenier, sont là, dans une pièce, et me regardent les ouvrir, feuilleter des règles, déplier des cartes à hexagones, pousser des bouts de carton...

Le rideau se lève donc sur l'acte trois, et je me dis que cette fois, je vais peut être essayer d'y jouer, pour changer... J'ai la place, je peux prendre le temps. En restant raisonnable, je dois pouvoir jouer à trois ou quatre jeux par an. Pour une centaine de jeux (90 je crois, mais j'en achèterai probablement encore quelques uns, je me connais...), ca nous fait une trentaine d'année, et 45+30...

mercredi 25 août 2010

Nostromo

Un roman qui ferait un bon film, c'est généralement une histoire pauvre et des personnages creux. Un film qui ferait un bon roman, ce sont ces incontournables qu'on se force à aller voir à 20 ans, en VO, dans les salles d'art et d'essai - surtout d'essai - et qui font qu'on est heureux de vieillir, parce que, la confiance venant, on ne se sent plus contraint à ces pénitences culturelles.

En refermant ce livre, je me suis dit qu'il ferait un bien mauvais film, et donc, probablement, un bon roman...

Pourtant, il y a tous les ingrédients d'un Fort Saganne, ou d'un Indochine. Des pays lointains, de l'argent, des femmes de tête, des jeunes premiers, une révolution, et même un trésor et une île déserte. Et puis il y a la puissance évocatrice de Conrad. Il suffit de cinq pages, lues à la sauvette, dans un train de banlieue, même en hiver, sur fond de conversation téléphonique, le journal de son voisin sous le nez, dans les relents de café et de tabac froid d'un cadre moyen en costume marron. Cinq pages - même pas attentives - et on s'attend, à la sortie de l'escalator, à trouver une place entourée de maisons blanches, avec des fenêtres un peu rondes, et des tourelles, et des indiens en carrioles qui vont vendre des légumes, et une église, blanche aussi, avec une grosse porte en bois sombre, et des collines pelées autour, des plantes grasses et des fleurs dans les jardins, des grilles en fer forgé...

... Et là, on réalise que la Plaza de l'Alma, ben, c'est la Place de l'Alma, avec ses vieux touristes qui prennent le petit déjeuner en terrasse en regardant passer les voitures, les CRS devant les ambassades, qui jouent à la DS dans leur guérite, les taxis qui font la queue, les touristes se font prendre en photo devant la porte d'Yves Saint Laurent, avec leur jean qui les boudine et leur bide qui passe dessus, ou leurs jambes si maigres sur leurs talons haut qu'on se sent un peu mal à l'aise, comme devant une grand mère malade dans une chambre d'hopital.

... Et là, on se dit que Paris, au fond, c'est un peu surfait, et qu'il est drolement fort, ce Conrad.



Mais, de chapitre en chapitre, Conrad s'ingénie à casser la magie. Le jeune premier se retrouve seul sur une île déserte, à la fin d'un chapitre? On n'en reparle plus, ou juste un peu à la fin, à un moment où son histoire n'a plus d'intérêt. La révolution arrive à son point culminant? Le chapitre suivant s'ouvre 20 ans plus tard, quand l'intensité qu'on attendait (et qu'on avait préparée pendant 50 pages) est retombée. On nous résume alors, assez platement ce qui aurait aisément motivé un second tome. Un mystère entoure tel personnage? Il ne sera pas résolu, mais on évoquera un autre trait de son caractère, sans rapport, à moins que...

Ce souci de briser la chronologie, de torpiller tout suspens, se retrouve dans la psychologie des personnages. Dès le début, on nous présente des caractères tranchés. Tout romancier normal les mènerait à leur conclusion logique, ou à un changement brutal, sous la pression des évènements. Conrad les conserve, inamovibles, parfois à contre emploi.


Sur le coup, ca m'a évoqué une série TV qui "continuerait" pendant la publicité, au lieu de reprendre, bien sagement, là où l'on avait laissé l'action, à la fin de l'écran. Ou, pour prendre un exemple littéraire, un Da Vinci Code dont on aurait un peu mélangé les chapitres, et perdu quelques feuillets, faisant qu'aucun des minisuspense qui finissent chaque chapitre (au format "métro": 6 stations) ne trouve sa conclusion.

En refermant le livre, je me suis dit que ce procédé était très moderne (Nostromo date de 1904, mais on pense à Marelle). Mais en y repensant, il me parait au contraire très daté, d'une époque qui ne connaissait ni cinéma, ni télévision, ni Proust.

Peut être que Conrad est l'aboutissement du roman du 19eme, privilégiant action et technique narrative, quand les générations suivantes se concentreront sur la psychologie et "l'image choc".

mercredi 4 août 2010

Les excités

There is no greater community of spirit than that between the artist and the listener at home, communing with the music. (Glenn Gould)

L'idée romantique que l'on se fait de l'artiste, habité par son oeuvre, ayant l'air d'un fou, en musique, ca donne quelque chose comme cela...
Lang Lang
Kissin

Ce ne sont pas de mauvais pianistes, et je n'ai pas eu de mal à trouver ces exemples : presque tout le monde fait ça, de nos jours.

Ca n'a pas toujours, forcément, été le cas. Voici Rubinstein (jeune), dans le même morceau.

Vous avez vu? il ne gesticule pas, il ne lève pas les yeux au ciel, il ne fait pas de grimace. Et pourtant, ça "fonctionne".


Dans le même genre, voici Furtwangler dirigeant l'ouverture de Don Juan, et voici James Levine

On imagine aisément que pour diriger cela, il faut faire de grands gestes. Furtwangler prouve le contraire: sa version, peu spectaculaire à regarder, est pourtant nettement plus dramatique, plus "grande", que celle de Levine.

On pourrait multiplier les exemples, auxquels il faudrait ajouter les versions "scénarisées" comme celle ci (avant, j'adorais cette chanson et j'adorais Bostridge, mais depuis que j'ai vu cela, je n'arrive plus à les prendre au sérieux...)

Alors pourquoi? Pourquoi tout ce kitsch, ces clips adolescents, ces gesticulations qui évoquent André Rieu et Richard Clayderman? La musique classique rebute, parce qu'elle est (dit on) difficile d'accès, la rendre ridicule ne va pas l'aider...


Au fond, peut être que Gould avait raison, qui pensait que le disque, plus honnête, rendrait le concert inutile. Aujourd'hui, si l'on veut écouter de la musique, concentré, dans les meilleures conditions possibles, il faut rester chez soi, et mettre un disque. Le son sera meilleur, il n'y aura pas de fausses notes, pas de toux ni d'éternuement.

Pourquoi, alors, aller au concert? Peut être, pour le spectacle, pour voir les artistes gesticuler. Et comme les salles sont grandes, il faut en faire des tonnes, pour que tout le monde puisse bien voir. En fin de compte, la musique, et la qualité de ce qu'on entend, n'est pas le plus important (de toutes facon, on aura mieux à la maison).

Ceci expliquerait cela...

Il y a au début de Fitzcarraldo une scène étrange, où l'on voit Caruso et Sarah Bernhardt se produire dans un opéra. Comme elle ne pouvait pas chanter, elle joue en playback, pendant qu'une vraie chanteuse se produit dans la fosse, avec l'orchestre. Peut être est ce l'avenir du concert classique...

vendredi 30 juillet 2010

Signes extérieurs de chinois

Ca fait 25 ans que je fais du chinois, un quart de siècle, plus de la moitié de ma vie...

Je lis du chinois à peu près tous les jours, à une époque je le parlais plus que l'anglais. Au fil des années, j'ai accumulé des souvenirs, des connaissances, des objets aussi, pourtant dans ma maison, les chinoiseries sont rares. Je n'ai pas de meubles chinois, pas de calligraphies au mur, aucun des signes que n'importe quel pékin ayant fait une année de langues O ou 2 ans d'expatriation possèdera à foison.

Voici une petite liste de mes "signes extérieurs de chinois", dans l'état actuel de la maison

1- Le long de la rue, une haie de bambous. Ce n'est pas très distinctif, il y en a pas mal dans le coin, mais c'était délibéré

2- dans le salon, tout en haut d'un meuble (à cause des petites), quelques bibelots. Ces bibelots me viennent de mes grand parents, qui, en bon bourgeois, collectionnaient les chinoiseries, mais mon intérêt pour la Chine m'a donné la préférence lors de l'héritage

3- un peu plus bas, un ancien livre de traduction de poèmes des Tang (par Judith Gauthier, la fille de Théophile). Pareil, il appartenait à ma grand mère

4- dans les affaires des petites, des coloriages en chinois que j'ai ramenés de Singapour il y a trois ans

5- quelques livres dispersés dans mes affaires : un haizi, un gao ertai, un gros dictionnaire, deux livres que mon fils m'a ramenés de Chine

6- dans le garage, un chapeau de rizière, toujours ramené par mon fils, que ma femme utilise parfois pour jardiner...

C'est assez amusant, au fond, ces chinoiseries qui m'occupent tant sont à peu près invisibles chez moi.

mercredi 28 juillet 2010

Fitzcarraldo

J'ai vu ce film hier soir, et depuis, j'y pense...

Je n'aime pas le cinéma. Quand j'y vais, je suis presque toujours déçu. Les personnages manquent d'épaisseur, l'image, l'enchainement des scènes étouffent l'imagination, et les histoires, faites pour tenir en 90 minutes, soit sont trop linéaires, soit enchaînent les rebondissements à un rythme déraisonnable. Du coup, j'en finis par n'apprécier que les séries (qui, comme elles ne sont pas écrites d'avance, laissent la place à l'imagination) et les films d'action pure (qui n'ont pas besoin de crédibilité, ni pour les personnages, ni pour le scénario).

Les autres films m'ennuient, parce qu'ils fixent invariablement la barre très haut, pour ne servir qu'un ramassis de lieux communs et de demi idées. A la sortie, je me dis toujours que ca aurait pu faire soit un bon roman, soit un bon jeu vidéo, mais que le film était inutile.

Heureusement, il y a des exceptions, et Fitzcarraldo en est une.

Si cela devait être écrit, ça ferait probablement une bonne nouvelle (mais un mauvais roman). Les personnages sont presque inexistants, sauf le héros, qui est stylisé à l'extrème. L'histoire est intéressante, parce que parfaitement gratuite, et pourtant très marquante, grâce aux nombreuses "sous histoires" qui s'y cachent : l'opéra dans la jungle, les jivaros le prenant pour un dieu, les grands travaux pour le passage du bateau, chacun de ces éléments pourrait faire un film, mais Herzog semble préférer les laisser en arrière plan. Ce qui reste, c'est quelque chose d'un peu gratuit, qui montre tous ces scénarios avortés, sans en choisir aucun, et s'achève en nous ramenant au point de départ, la tête pleine de visions mais les mains vides.

C'est peut être là le génie du film, résumé très joliment à la fin dans l'histoire de Fitzgerald sur la découverte du Niagara. Au fond, tout autre dénouement (un succés, un échec retentissant), et même des personnages un peu plus travaillés, auraient probablement produit un de ces affreux "navets de la jungle".

Ce que j'aime, dans Fitzcarraldo, c'est l'idée que l'action ne trouve sa justification que dans l'action elle même, et que dans ce contexte, les seules causes dignes d'intérêt sont les projets déraisonnables.

mardi 27 juillet 2010

Vocabulaire

Quand on apprend le chinois, une question qui revient est : combien y a-t-il de caractère? combien faut il en connaitre pour lire le journal ? combien en sait un chinois moyen? un universitaire?

Les réponses officielles à ces questions sont généralement quelque chose comme 100 000, 2 500, 3 000, 8 000 ou plus. Mais quand on approfondit le sujet, on se rend vite compte que la question est délicate.

Tout d'abord, il faut s'entendre ce que signifie connaître un caractère. En comprendre le sens si on le recontre dans un texte, savoir en plus comment il se prononce, l'utiliser à l'oral, naturellement, l'utiliser à l'écrit? On sent bien que chaque définition donnera des résultats différents.

C'est d'autant plus difficile qu'en chinois, comme en francais, le contexte aide à deviner le sens de pas mal de mots. Si je lis dans un roman "au fond du filet se débattait un sélatin", je vais deviner que le sélatin est probablement un poisson (ne cherchez pas, je viens de l'inventer...). Et ceci est même vrai de mots que l'on connait réellement. Je sais qu'un charme est un arbre, mais j'aurais l'air bien malin si on me demandait d'en montrer un, ou de dessiner ses feuilles...

En chinois c'est un peu pareil. Je peux deviner que le caractère 栩 désigne un arbre qui se prononce "yu", et j'aurai presque raison (c'est "xu", et ca peut être un chêne, même si ce n'est pas l'usage le plus courant). Et cette connaissance est parfois la bonne. Pour certains caractères un peu rares, tout ce qu'on trouve, dans le dictionnaire c'est sa prononciation et une définition du genre "une sorte d'arbre", ou "un oiseau"... Comme le mot est très rare, et plus utilisé de nos jours, on n'en saura pas plus (sauf à faire de l'étymologie créative : on m'a un jour expliqué que le caractère 栩, qui représente un arbre et une plume était le son que faisait un oiseau agitant ses ailes, j'avais répondu que c'était probablement un arbre dont les feuilles ressemblaient à des plumes...)

A ce stade, on est tenté de ce dire que la question "combien de caractères?" n'a pas de réponse. En fait, l'informatique et les statistiques ouvrent une autre voie.

Un chinois nommé Jun Da a compilé les fréquences d'apparition des caractères dans de très grands corpus de textes. Tout est là http://lingua.mtsu.edu/chinese-computing/

POur ce faire, il a compilé trois bases :
- des textes classiques (avant 1911), 65 millions de caractères
- des textes modernes, 193 millions de caractères, répartis en deux moitiés : textes informatifs (journaux, livres de référence) et textes imaginatifs (romans, poésie)

Soit au total plus de 250 millions de caractères (pour donner une idée, ceci représente l'équivalent de quelques milliers de gros livres)

Si on se limite au chinois moderne, il apparait au total 9 933 caractères différents. C'est nettement moins que ce que contient un bon dictionnaire, mais il faut observer que la saisie informatique de ces textes a pour effet de "normaliser" des variantes d'écriture, qui forment une grande partie des caractères manquants.

De façon intéressante, 1 100 de ces 9933 caractères n'apparaissent qu'une seule fois, 2 000 apparaissent 3 fois et moins. Il semble donc que 8 000 caractères (chiffre qu'on cite parfois comme "le chinois des lettrés") soit en fait le "nombre total" de caractères chinois qu'on rencontre en une vie de lecture... (l'ajout du chinois classique change un peu cette statistique : on a cette fois 12 041 caractères au total, dont 2050 3 fois et moins, et donc un "chinois total" de 10 000 caractères environ)

Si l'on prend le problème dans l'autre sens, on découvre que
- 152 caractères différents représentent 50% du corpus moderne (179 avec le classique)
- 1057 représentent 90% de l'usage (classique 1265)
- 1566 représentent 95% (classique 1891)
- 2838 représentent 99% (classique 3590)

Si on ajoute à cela que certains caractères rares peuvent être devinés (en fonction du contexte), on arrive probablement pour le chinois moderne à un corpus de l'ordre de 3000 - 3500 caractères, et 4 à 5 000 si on inclut le classique.

Ce qui reste tout à fait respectable...

lundi 19 juillet 2010

Nasses

Deux textes chinois...

La fonction de la nasse, c'est le poisson
Le poisson pris, on oublie la nasse
La fonction du collet, c'est le lièvre
Le lièvre capturé, on oublie le collet
La fonction du discours, c'est l'idée
L'idée exprimée, on oublie le discours

Où trouverai-je
Quelqu'un qui ait oublié le discours
Quelqu'un avec qui parler !

(Zhuangzi - IVeme siècle av JC)


Solitude à Changping

La solitude, c’est une nasse
C’est l’eau dans la nasse
Plongée dans l’eau

La solitude, c’est un grand cerf qui dort dans l’eau
Qui rêve que ceux qui le chassent
Ce sont ces hommes qui puisent l’eau avec la nasse

Toutes les autres solitudes
Les deux garçons dans leurs barques de cèdre
Et ces filles qu’entourent
Les Odes en branches, les Elégies en feuilles
Dans la défaite de l’amour
Ce sont les flammes dans la nasse
Noyées au fond de l’eau

Mais quand on la remonte, ce n’est plus qu’une nasse
La solitude, ça ne se dit pas.

(Haizi 1964-1989)

Canoé

If you can spend a perfectly useless afternoon in a perfectly useless manner, you have learned how to live. (Lin Yutang)

Le canoé est un bateau à fond plat, il appuie sur la surface de l'eau sans s'y enfoncer, à la manière d'une bulle ou de ces insectes appelés patineurs.

Qu'on pagaie "à l'indienne", toujours du même côté, sans que la pale sorte jamais de l'eau, et le bateau avancera sans bruit, sans remous, sans sillage.

L'été, le soleil épaissit l'eau calme, la rend presque visqueuse. Sous les arbres, il fait frais, tout parait mat.

Dans le ciel, le vent pousse mollement les nuages. Sur les berges, il fait dériver le paysage.

Le canoé reste immobile.

dimanche 18 juillet 2010

Typhon sur ma pelouse

L'ingéniosité du premier romancier consista à comprendre que dans l'appareil de nos émotions, l'image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif (Marcel Proust)

Cet après midi, j'ai lu Typhon, de Conrad. J'étais installé sur la pelouse, sous un grand ciel bleu, à l'ombre du sureau, à ma gauche les fraisiers et les haricots, à ma droite la rivière qui glougloutait. Un bel après midi d'été. Pourtant, sur ma pelouse, ça sentait le charbon et le sel, ça roulait, il faisait nuit, et quand je me suis relevé, cette soirée d'été semblait bien moins réelle que l'ouragan que je venais de traverser.

Ce roman, c'est un peu Koh Lantah avant la télé... Il n'y a pas vraiment d'intrigue, juste une tempête en mer de Chine sur un petit vapeur. Un seul personnage est réellement décrit, le capitaine, et encore, son caractère est tellement stylisé qu'il paraît presque factice. Le style s'embarasse d'un vocabulaire technique assez incompréhensible pour un non marin du 21eme siècle.

Et pourtant, on en ressort avec l'impression d'avoir vécu, plus que d'avoir lu. L'expérience est presque physique, pour peu on irait se sêcher à la fin.

En y réfléchissant, on retrouve certains éléments utilisés dans les films d'action. Un espace confiné, rendu plus oppressant encore par la tempête. Une histoire au fond assez prévisible : le titre annonce la couleur, le débat est simple : survivront ils? Et un héros principal, autour duquel tout gravite.

C'est mon premier Conrad. J'ai décidé de le lire en apprenant que Haizi, lors de son suicide, avait avec lui quatre livres : une Bible, Kon Tiki de Heyerdahl, Walden de Thoreau, et des romans de Conrad. Comme cette liste m'intrigue (ce n'est pas ce qu'on attend d'un poète contemporain chinois, qu'on nous décrit comme attaché à la société agricole et la tradition), je me suis dit qu'il fallait lire Conrad (mon libraire m'a dit qu'il aurait Thoreau la semaine prochaine).

samedi 17 juillet 2010

Traduction et sobriété

Mon ami Romuald a mis sur son blog un joli poeme de TE Lawrence, avec une traduction, extraite d'un livre, probablement.

La traduction n'est pas mauvaise, c'est même assez joli à lire, mais elle est caractéristique d'une certain façon de rendre la poésie étrangère. Elle emploie des grands mots, elle essaie de "faire poétique". Comme si la poésie, c'était, forcément, une manière différente d'écrire.

Et pourtant,
mon enfant ma soeur, songe à la douceur d'aller là bas vivre ensemble,
ou
et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis, et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, la blanche Ophélia flotter, comme un grand lys,

c'est presque de la prose, et ca frappe en premier lieu par sa simplicité.

Pourquoi, alors, les poètes traduits devraient être un peu grandiloquents? Est ce vraiment "faire poétique"?

Alors je rêve d'un Lawrence qui ferait :

Je t'aimais, alors j'ai dessiné ces vagues d'hommes dans mes mains
et j'ai écrit mon testament dans le ciel en étoiles
pour que tu aies la Liberté, cette maison aux sept pilliers
pour que tes yeux brillent pour moi
quand nous y entrerions


C'est presque un mot à mot, l'ordre est préservé, l'étrange structure des phrases aussi (il y a un débat sur le sens à donner au mot "drew", soit tirer à soi, soit dessiner, je préfère le second à cause du write du vers suivant).

Est ce moins poétique?