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vendredi 17 août 2012

Navrante anaphore, et fraises au sucre

Avant qu'elle prenne son sens journalistique moderne, et désigne cette feuille de vigne oratoire qui habille une énumération en la faisant débuter par une locution creuse, moi je, ou je remercie, ou je pense particulièrement ce soir, et qui émerveille nos journalistes et blogueurs, l'anaphore était une figure de style raffinée.

La voici chez Verlaine

Je suis l’Empire à la fin de la décadence,
Qui regarde passer les grands Barbares blancs
En composant des acrostiches indolents
D’un style d’or où la langueur du soleil danse.


L’ame seulette a mal au coeur d’un ennui dense,
Là-bas on dit qu’il est de longs combats sanglants.
O n’y pouvoir, étant si faible aux voeux si lents,
O n’y vouloir fleurir un peu cette existence !


O n’y vouloir, ô n’y pouvoir mourir un peu !
Ah ! tout est bu ! Bathylle, as-tu fini de rire ?
Ah ! tout est bu, tout est mangé ! Plus rien à dire !

Seul un poème un peu niais qu’on jette au feu,
Seul un esclave un peu coureur qui vous néglige,
Seul un ennui d’on ne sait quoi qui vous afflige !

Et chez Villon, sous une forme plus codifiée

Mort, j'appelle de ta rigueur,
Qui m'as ma maîtresse ravie,
Et n'es pas encore assouvie
Si tu ne me tiens en langueur :

Onc puis n'eus force ni vigueur ;
Mais que te nuisoit-elle en vie,
Mort ?

Deux étions et n'avions qu'un coeur ;
S'il est mort, force est que dévie,
Voire, ou que je vive sans vie
Comme les images, par coeur,
Mort !


L'anaphore, toutes les figures de style, c'est un peu comme le sucre sur les fraises, sur de bons fruits, et en petite quantité, ça les rend meilleurs encore, mais ça peut aussi servir à masquer la fadeur d'un produit, ou la pauvreté d'un texte.