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vendredi 30 juillet 2010

Signes extérieurs de chinois

Ca fait 25 ans que je fais du chinois, un quart de siècle, plus de la moitié de ma vie...

Je lis du chinois à peu près tous les jours, à une époque je le parlais plus que l'anglais. Au fil des années, j'ai accumulé des souvenirs, des connaissances, des objets aussi, pourtant dans ma maison, les chinoiseries sont rares. Je n'ai pas de meubles chinois, pas de calligraphies au mur, aucun des signes que n'importe quel pékin ayant fait une année de langues O ou 2 ans d'expatriation possèdera à foison.

Voici une petite liste de mes "signes extérieurs de chinois", dans l'état actuel de la maison

1- Le long de la rue, une haie de bambous. Ce n'est pas très distinctif, il y en a pas mal dans le coin, mais c'était délibéré

2- dans le salon, tout en haut d'un meuble (à cause des petites), quelques bibelots. Ces bibelots me viennent de mes grand parents, qui, en bon bourgeois, collectionnaient les chinoiseries, mais mon intérêt pour la Chine m'a donné la préférence lors de l'héritage

3- un peu plus bas, un ancien livre de traduction de poèmes des Tang (par Judith Gauthier, la fille de Théophile). Pareil, il appartenait à ma grand mère

4- dans les affaires des petites, des coloriages en chinois que j'ai ramenés de Singapour il y a trois ans

5- quelques livres dispersés dans mes affaires : un haizi, un gao ertai, un gros dictionnaire, deux livres que mon fils m'a ramenés de Chine

6- dans le garage, un chapeau de rizière, toujours ramené par mon fils, que ma femme utilise parfois pour jardiner...

C'est assez amusant, au fond, ces chinoiseries qui m'occupent tant sont à peu près invisibles chez moi.

mercredi 28 juillet 2010

Fitzcarraldo

J'ai vu ce film hier soir, et depuis, j'y pense...

Je n'aime pas le cinéma. Quand j'y vais, je suis presque toujours déçu. Les personnages manquent d'épaisseur, l'image, l'enchainement des scènes étouffent l'imagination, et les histoires, faites pour tenir en 90 minutes, soit sont trop linéaires, soit enchaînent les rebondissements à un rythme déraisonnable. Du coup, j'en finis par n'apprécier que les séries (qui, comme elles ne sont pas écrites d'avance, laissent la place à l'imagination) et les films d'action pure (qui n'ont pas besoin de crédibilité, ni pour les personnages, ni pour le scénario).

Les autres films m'ennuient, parce qu'ils fixent invariablement la barre très haut, pour ne servir qu'un ramassis de lieux communs et de demi idées. A la sortie, je me dis toujours que ca aurait pu faire soit un bon roman, soit un bon jeu vidéo, mais que le film était inutile.

Heureusement, il y a des exceptions, et Fitzcarraldo en est une.

Si cela devait être écrit, ça ferait probablement une bonne nouvelle (mais un mauvais roman). Les personnages sont presque inexistants, sauf le héros, qui est stylisé à l'extrème. L'histoire est intéressante, parce que parfaitement gratuite, et pourtant très marquante, grâce aux nombreuses "sous histoires" qui s'y cachent : l'opéra dans la jungle, les jivaros le prenant pour un dieu, les grands travaux pour le passage du bateau, chacun de ces éléments pourrait faire un film, mais Herzog semble préférer les laisser en arrière plan. Ce qui reste, c'est quelque chose d'un peu gratuit, qui montre tous ces scénarios avortés, sans en choisir aucun, et s'achève en nous ramenant au point de départ, la tête pleine de visions mais les mains vides.

C'est peut être là le génie du film, résumé très joliment à la fin dans l'histoire de Fitzgerald sur la découverte du Niagara. Au fond, tout autre dénouement (un succés, un échec retentissant), et même des personnages un peu plus travaillés, auraient probablement produit un de ces affreux "navets de la jungle".

Ce que j'aime, dans Fitzcarraldo, c'est l'idée que l'action ne trouve sa justification que dans l'action elle même, et que dans ce contexte, les seules causes dignes d'intérêt sont les projets déraisonnables.

mardi 27 juillet 2010

Vocabulaire

Quand on apprend le chinois, une question qui revient est : combien y a-t-il de caractère? combien faut il en connaitre pour lire le journal ? combien en sait un chinois moyen? un universitaire?

Les réponses officielles à ces questions sont généralement quelque chose comme 100 000, 2 500, 3 000, 8 000 ou plus. Mais quand on approfondit le sujet, on se rend vite compte que la question est délicate.

Tout d'abord, il faut s'entendre ce que signifie connaître un caractère. En comprendre le sens si on le recontre dans un texte, savoir en plus comment il se prononce, l'utiliser à l'oral, naturellement, l'utiliser à l'écrit? On sent bien que chaque définition donnera des résultats différents.

C'est d'autant plus difficile qu'en chinois, comme en francais, le contexte aide à deviner le sens de pas mal de mots. Si je lis dans un roman "au fond du filet se débattait un sélatin", je vais deviner que le sélatin est probablement un poisson (ne cherchez pas, je viens de l'inventer...). Et ceci est même vrai de mots que l'on connait réellement. Je sais qu'un charme est un arbre, mais j'aurais l'air bien malin si on me demandait d'en montrer un, ou de dessiner ses feuilles...

En chinois c'est un peu pareil. Je peux deviner que le caractère 栩 désigne un arbre qui se prononce "yu", et j'aurai presque raison (c'est "xu", et ca peut être un chêne, même si ce n'est pas l'usage le plus courant). Et cette connaissance est parfois la bonne. Pour certains caractères un peu rares, tout ce qu'on trouve, dans le dictionnaire c'est sa prononciation et une définition du genre "une sorte d'arbre", ou "un oiseau"... Comme le mot est très rare, et plus utilisé de nos jours, on n'en saura pas plus (sauf à faire de l'étymologie créative : on m'a un jour expliqué que le caractère 栩, qui représente un arbre et une plume était le son que faisait un oiseau agitant ses ailes, j'avais répondu que c'était probablement un arbre dont les feuilles ressemblaient à des plumes...)

A ce stade, on est tenté de ce dire que la question "combien de caractères?" n'a pas de réponse. En fait, l'informatique et les statistiques ouvrent une autre voie.

Un chinois nommé Jun Da a compilé les fréquences d'apparition des caractères dans de très grands corpus de textes. Tout est là http://lingua.mtsu.edu/chinese-computing/

POur ce faire, il a compilé trois bases :
- des textes classiques (avant 1911), 65 millions de caractères
- des textes modernes, 193 millions de caractères, répartis en deux moitiés : textes informatifs (journaux, livres de référence) et textes imaginatifs (romans, poésie)

Soit au total plus de 250 millions de caractères (pour donner une idée, ceci représente l'équivalent de quelques milliers de gros livres)

Si on se limite au chinois moderne, il apparait au total 9 933 caractères différents. C'est nettement moins que ce que contient un bon dictionnaire, mais il faut observer que la saisie informatique de ces textes a pour effet de "normaliser" des variantes d'écriture, qui forment une grande partie des caractères manquants.

De façon intéressante, 1 100 de ces 9933 caractères n'apparaissent qu'une seule fois, 2 000 apparaissent 3 fois et moins. Il semble donc que 8 000 caractères (chiffre qu'on cite parfois comme "le chinois des lettrés") soit en fait le "nombre total" de caractères chinois qu'on rencontre en une vie de lecture... (l'ajout du chinois classique change un peu cette statistique : on a cette fois 12 041 caractères au total, dont 2050 3 fois et moins, et donc un "chinois total" de 10 000 caractères environ)

Si l'on prend le problème dans l'autre sens, on découvre que
- 152 caractères différents représentent 50% du corpus moderne (179 avec le classique)
- 1057 représentent 90% de l'usage (classique 1265)
- 1566 représentent 95% (classique 1891)
- 2838 représentent 99% (classique 3590)

Si on ajoute à cela que certains caractères rares peuvent être devinés (en fonction du contexte), on arrive probablement pour le chinois moderne à un corpus de l'ordre de 3000 - 3500 caractères, et 4 à 5 000 si on inclut le classique.

Ce qui reste tout à fait respectable...

lundi 19 juillet 2010

Nasses

Deux textes chinois...

La fonction de la nasse, c'est le poisson
Le poisson pris, on oublie la nasse
La fonction du collet, c'est le lièvre
Le lièvre capturé, on oublie le collet
La fonction du discours, c'est l'idée
L'idée exprimée, on oublie le discours

Où trouverai-je
Quelqu'un qui ait oublié le discours
Quelqu'un avec qui parler !

(Zhuangzi - IVeme siècle av JC)


Solitude à Changping

La solitude, c’est une nasse
C’est l’eau dans la nasse
Plongée dans l’eau

La solitude, c’est un grand cerf qui dort dans l’eau
Qui rêve que ceux qui le chassent
Ce sont ces hommes qui puisent l’eau avec la nasse

Toutes les autres solitudes
Les deux garçons dans leurs barques de cèdre
Et ces filles qu’entourent
Les Odes en branches, les Elégies en feuilles
Dans la défaite de l’amour
Ce sont les flammes dans la nasse
Noyées au fond de l’eau

Mais quand on la remonte, ce n’est plus qu’une nasse
La solitude, ça ne se dit pas.

(Haizi 1964-1989)

Canoé

If you can spend a perfectly useless afternoon in a perfectly useless manner, you have learned how to live. (Lin Yutang)

Le canoé est un bateau à fond plat, il appuie sur la surface de l'eau sans s'y enfoncer, à la manière d'une bulle ou de ces insectes appelés patineurs.

Qu'on pagaie "à l'indienne", toujours du même côté, sans que la pale sorte jamais de l'eau, et le bateau avancera sans bruit, sans remous, sans sillage.

L'été, le soleil épaissit l'eau calme, la rend presque visqueuse. Sous les arbres, il fait frais, tout parait mat.

Dans le ciel, le vent pousse mollement les nuages. Sur les berges, il fait dériver le paysage.

Le canoé reste immobile.

dimanche 18 juillet 2010

Typhon sur ma pelouse

L'ingéniosité du premier romancier consista à comprendre que dans l'appareil de nos émotions, l'image étant le seul élément essentiel, la simplification qui consisterait à supprimer purement et simplement les personnages réels serait un perfectionnement décisif (Marcel Proust)

Cet après midi, j'ai lu Typhon, de Conrad. J'étais installé sur la pelouse, sous un grand ciel bleu, à l'ombre du sureau, à ma gauche les fraisiers et les haricots, à ma droite la rivière qui glougloutait. Un bel après midi d'été. Pourtant, sur ma pelouse, ça sentait le charbon et le sel, ça roulait, il faisait nuit, et quand je me suis relevé, cette soirée d'été semblait bien moins réelle que l'ouragan que je venais de traverser.

Ce roman, c'est un peu Koh Lantah avant la télé... Il n'y a pas vraiment d'intrigue, juste une tempête en mer de Chine sur un petit vapeur. Un seul personnage est réellement décrit, le capitaine, et encore, son caractère est tellement stylisé qu'il paraît presque factice. Le style s'embarasse d'un vocabulaire technique assez incompréhensible pour un non marin du 21eme siècle.

Et pourtant, on en ressort avec l'impression d'avoir vécu, plus que d'avoir lu. L'expérience est presque physique, pour peu on irait se sêcher à la fin.

En y réfléchissant, on retrouve certains éléments utilisés dans les films d'action. Un espace confiné, rendu plus oppressant encore par la tempête. Une histoire au fond assez prévisible : le titre annonce la couleur, le débat est simple : survivront ils? Et un héros principal, autour duquel tout gravite.

C'est mon premier Conrad. J'ai décidé de le lire en apprenant que Haizi, lors de son suicide, avait avec lui quatre livres : une Bible, Kon Tiki de Heyerdahl, Walden de Thoreau, et des romans de Conrad. Comme cette liste m'intrigue (ce n'est pas ce qu'on attend d'un poète contemporain chinois, qu'on nous décrit comme attaché à la société agricole et la tradition), je me suis dit qu'il fallait lire Conrad (mon libraire m'a dit qu'il aurait Thoreau la semaine prochaine).

samedi 17 juillet 2010

Traduction et sobriété

Mon ami Romuald a mis sur son blog un joli poeme de TE Lawrence, avec une traduction, extraite d'un livre, probablement.

La traduction n'est pas mauvaise, c'est même assez joli à lire, mais elle est caractéristique d'une certain façon de rendre la poésie étrangère. Elle emploie des grands mots, elle essaie de "faire poétique". Comme si la poésie, c'était, forcément, une manière différente d'écrire.

Et pourtant,
mon enfant ma soeur, songe à la douceur d'aller là bas vivre ensemble,
ou
et le Poète dit qu’aux rayons des étoiles tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis, et qu’il a vu sur l’eau, couchée en ses longs voiles, la blanche Ophélia flotter, comme un grand lys,

c'est presque de la prose, et ca frappe en premier lieu par sa simplicité.

Pourquoi, alors, les poètes traduits devraient être un peu grandiloquents? Est ce vraiment "faire poétique"?

Alors je rêve d'un Lawrence qui ferait :

Je t'aimais, alors j'ai dessiné ces vagues d'hommes dans mes mains
et j'ai écrit mon testament dans le ciel en étoiles
pour que tu aies la Liberté, cette maison aux sept pilliers
pour que tes yeux brillent pour moi
quand nous y entrerions


C'est presque un mot à mot, l'ordre est préservé, l'étrange structure des phrases aussi (il y a un débat sur le sens à donner au mot "drew", soit tirer à soi, soit dessiner, je préfère le second à cause du write du vers suivant).

Est ce moins poétique?