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mardi 27 décembre 2011

Au bout du chemin, le kitsch

Face à l'océan, des fleurs au printemps


A partir de demain, être un homme heureux
Elever des chevaux, fendre du bois, voir le monde
A partir de demain, faire attention à mes récoltes, à mes légumes
Avoir une maison, face à l'océan, des fleurs au printemps

A partir de demain, écrire à tous mes proches
Raconter mon bonheur
Cet éclair de joie, ce qu'il m'a appris
Le dire à chacun

A chaque rivière, à chaque montagne, donner un nom chaleureux

Etranger, pour toi aussi, je fais ce vœu
Je te souhaite un avenir radieux
Je te souhaite un mariage heureux
Je te souhaite le bonheur en ce monde

Moi, je veux simplement
Faire face à l'océan, et des fleurs au printemps.

(13/1/1989)

Face à l'océan est l'oeuvre la plus connue de Haizi. Ecrit quelques semaines avant le suicide du poète, il est difficile de l'abstraire du destin de son auteur. Il y a très peu de témoignages sur Haizi. Il vivait caché, presque reclus, dans la banlieue nord de Pékin. Enseignant le jour, écrivant la nuit. Un poète plus âgé m'a raconté qu'un jour où il donnait une conférence à l'Université de Pékin, on lui avait montré, tout au fond de la salle un petit bonhomme caché dans l'ombre, qui était arrivé au début, et parti juste à la fin de son intervention. On a quelques photos de lui, où il ressemble à la plupart des étudiants de sa génération, mais aucun enregistrement. On en sait pas comment il lisait ses poèmes.  


Certainement pas comme cela, en tous cas...

http://v.youku.com/v_show/id_XMTA4OTY4NzQw.html

Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. Le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli. (Milan Kundera)


Enfin, pour ne pas rester sur cette impression, voici Gucheng récitant deux de ses oeuvres...

lundi 11 juillet 2011

Millenium

J'ai fini hier le troisième tome de Millenium. Je suis content que ce soit le dernier, j'ai dû m'y reprendre à deux fois.

Il y a du Luc Besson chez Stieg Larsson. Il y a d'abord l'histoire, efficace mais un peu courte, qu'on délaye dans un fatras d'intrigues secondaires pour arriver au format désiré. Il y a ensuite les personnages, tellement étranges et hauts en couleur qu'il est difficile de leur donner un caractère crédible et un peu d'épaisseur. Après trois tomes de 700 pages, on s'aperçoit qu'on ne connait pas vraiment mieux les héros qu'à la fin du troisième chapitre du premier volume. Mais il y a aussi, comme chez Besson, un véritable talent qui fait qu'on ne s'ennuie pas, qu'on continue chapitre après chapitre, même si on se doute qu'on sera un peu déçu à la fin, et qu'on n'est en présence ni d'un grand roman, ni d'un grand film...

En fin de compte, cela donne l'impression d'une oeuvre un peu paresseuse, qui part d'une bonne intrigue (une enquête sur une disparition ancienne), et d'un personnage étrange (Lisbeth), mais s'essouffle assez vite, parce qu'à défaut de creuser ses personnages et les histoires, Larsson se lance dans une surenchère de personnages (notamment de méchants) de moins en moins crédibles.

Au fil des volumes, les situations et les personnages "normaux" disparaissent, pour laisser la place à une galerie de monstres en bocal, de Zalachenko à Niedermann, en passant par Clinton et Gullberg, qui évoluent dans un décor minimaliste. Le rôle des protagonistes (Mikael et Lisbeth) se réduit de plus en plus. Dans le troisième tome, ils agissent à la façon d'un "narrateur dans l'histoire", qu'on regarde découvrir les évènements racontés au chapitre précédent.

Et tout ceci est dilué dans une série de faits divers (le travail d'Erika, les enquêtes de Millenium, le chirurgien et Lisbeth) sans grand intérêt parce que très convenus.

Autre aspect que j'ai trouvé agaçant, le côté moralisateur. Dans les trois romans, les gentils sont bohèmes, libertaires et bisexuels (ou à tout le moins polyamoureux), les méchants sont bourgeois, homophobes et sexistes. Cette morale victorienne à l'envers surprend, voire charme, au début, mais se révèle rapidement aussi convenue et ennuyeuse que ce qu'elle prétend critiquer.



On y trouve peut être une leçon sur l'écriture. La tentation de mettre en scène des personnages exceptionnels, ou des évènements incroyables, est toujours grande. Mais, à moins d'avoir énormément de talent, il faut y résister, sous peine de voir les personnages et les évènements cannibaliser l'oeuvre...

Mais bon, si vous ne l'avez pas fait, lisez Millenium, le premier volume au moins. C'est au roman ce que les films avec Bruce Willis sont au cinéma, et moi j'aime bien Bruce Willis.

lundi 23 mai 2011

L'Art muet

Les poèmes, les morceaux, les peintures que j'aime ne s'adressent pas à mon intelligence ou à mon sens moral. Ils ne demandent pas à être compris, ne cherchent pas à faire réagir, encore moins à faire réfléchir.

Je n'aime pas les oeuvres où l'auteur (ou l'interprête) m'interpelle, essaie d'entrer en contact avec moi, de me dire quelque chose, ou de me provoquer. L'Art disparait quand il se sent investi d'un message, ou d'une mission.

L'Art, ça ne dit rien, et ça ne sert à rien...

Ou plutôt, ça ne devrait rien dire... La "création contemporaine" ne cesse de revendiquer cet engagement, cet art "politique", qui cherche à provoquer le bourgeois, comme le style pompier cherchait à le flatter. C'est peut être cet académisme à l'envers qui  a provoqué la faillite de l'art moderne (il est difficile d'éviter le mot faillite quand l'art est déconnecté du grand public depuis un siècle, et n'a plus d'autre fonction sociale que de servir de placement défiscalisé, ou de loisir subventionné d'une élite).

Peut être que cela tient à l'aspect commercial de la chose... Au fond, une oeuvre destinée à être vendue comme un produit de luxe doit dire à ses clients potentiels : "achète moi, je ne suis pas pour tout le monde". D'où cette idée d'un art pour connaisseurs, qui flatte l'intelligence de l'acheteur, en l'isolant de la masse "qui n'y comprend rien". Et une oeuvre bénéficiant d'une subvention d'Etat à la création est obligée de dire à son patron : tu as bien fait, regarde comme je suis invendable...

Et derrière l'aspect commercial se cache, forcément, un caractère utilitaire. Si on l'achète, l'oeuvre doit servir à quelque chose: à nous provoquer, à nous faire réfléchir, à nous donner des leçons (tout en s'en défendant). Le cinéma est probablement le meilleur exemple de cet art à message: il faut absolument qu'un film "dise quelque chose", et le format court ne permet pas beaucoup de nuances (il suffit de constater, dans les romans portés à l'écran, l'appauvrissement des personnages).

C'est peut être ce qui expliquerait pourquoi la poésie contemporaine, qui n'a rien à vendre, est nettement moins élitiste que les arts plastiques...

mercredi 27 avril 2011

La nuit dans une goutte

La nuit dans une goutte
Toute la nuit dans une larme

Une larme sans nom
Larme grandie au village
Volant dans la nuit du village
Sur la colline, quelques herbes d’hiver

J’ai vu le roi dragon des quatre mers
     Au-delà du crépuscule
Qui soulevait un morceau de ciel
A noyer les tourterelles
Noir comme la mer, la nuit

La mer t’a jetée sur la côte
La nuit dans une goutte
T’a jetée dans mes bras
Ensemble jour et nuit
Idiots et ivres

Dans une larme, il y a son sourire
Comme les étoiles qui brillent dans la nuit
Ces inconnus ont attaché leurs chevaux
Dans les grands bois et les champs de la reine

                          Haizi

mardi 26 avril 2011

Hyènes dactylographes

Cette année, pour Pâques, nous avons un beau fait divers.

Un père de famille, de bonne famille, aurait tué de sang froid son épouse et leurs quatre enfants, avant de cacher leurs corps dans le jardin et de disparaître. C'est sordide, comme tous les faits divers.

Depuis une semaine, les médias nous en abreuvent à jet continu. Et comme l'enquête est en cours, et progresse lentement (ce qui est normal), on recycle, on enquête et on assiste à une lente descente vers l'ignominie...

D'abord, on a eu des informations simples, factuelles, la famille, ses origines, des parallèles avec d'autres affaires. Puis, on a commencé à voir des "témoignages", d'amis, de proches, ou de personnes éloignées. Les protagonistes étant présentés comme discrets, ceux-ci étaient peu nombreux...

Aujourd'hui, ce sont les traces internet que les journalistes "exploitent". Peu à peu, on nous déballe les confessions, les commentaires, toutes ces choses qui auraient dû rester privées, mais que l'internet rend accessibles. Les intéressés ne vont pas s'en plaindre: ils sont morts.

Ca n'a, bien sûr, aucun intérêt pour l'enquête, ça ne participe pas d'une nécessité d'informer "le public" (il n'y a rien de légitime à détailler les aspects sordides d'un fait divers), c'est juste du voyeurisme, du même tonneau que celui nous fait regarder les accidents de la route. Et ce déballage n'est pas le fait d'une "certaine presse", mais de grands quotidiens nationaux ou régionaux, ou d'hebdomadaires sérieux. Le quatrième pouvoir, comme ils disent.


Voici plus de 15 ans que je suis sur Internet. Je n'utilise pas de pseudonyme, et n'ai jamais réussi à en avoir peur: je m'y sens anonyme dans la foule.

Cette affaire montre peut être le vrai danger d'Internet. L'ennemi, ce n'est pas le fonctionnaire totalitaire, le tueur en série ou le DRH inquisiteur, mais le journaliste en mal de copie...


Heureusement, la presse va mal. Les tirages s'effondrent, les revenus baissent, la lecture s'étiole. Pourvu qu'elle crève, et vite !

mardi 22 mars 2011

Incapable!

En fouinant sur l'Internet, j'ai trouvé cette traduction du Pont Mirabeau, d'Apollinaire, par Richard Wilbur, un poéte américain.

Under the Mirabeau Bridge there flows the Seine
            Must I recall
    Our loves recall how then
After each sorrow joy came back again
            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

Hands joined and face to face let's stay just so
            While underneath
    The bridge of our arms shall go
Weary of endless looks the river's flow

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

All love goes by as water to the sea
            All love goes by
    How slow life seems to me
How violent the hope of love can be

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay

The days the weeks pass by beyond our ken
            Neither time past
    Nor love comes back again
Under the Mirabeau Bridge there flows the Seine

            Let night come on bells end the day
            The days go by me still I stay
Je l'ai lue, dans ma tête, à voix basse, puis haute, puis dans ma tête encore, j'ai fermé la page, j'y ai repensé, j"y suis revenu, je l'ai relue, j'ai voulu faire autre chose, je n'y suis pas arrivé.

Le sens est préservé, la structure des rimes, l'ordre des mots, ce découpage étrange des phrases en vers, parfois ambigu, qui renvoie à cette eau, et ce temps, qui s'écoulent. On dit que la poésie est intraduisible, c'est faux.

On m'a raconté l'histoire d'une étudiante en lettres qui disait : "autrefois je voulais écrire des romans, et puis j'ai lu Anna Karénine". Avant, moi, je voulais traduire...

mercredi 16 mars 2011

Courage, vendons!

On dit que c'est dans l'épreuve qu'on reconnait ses amis. On dit aussi que c'est face à la catastrophe que les individus révèlent leur courage. Les évènements du Japon me paraissent démontrer l'inverse. Scènes vues sur le bout d'Internet où je traîne.

Sur les forums chinois, la réaction initiale semble avoir été la joie. Haineuse, vulgaire et nationaliste... Toute répugnante qu'elle soit, cette réaction n'est pas complètement étonnante. La lutte anti-japonaise est un des mythes fondateurs de la République Populaire (je dis mythe, parce pendant la plus grande partie de la guerre, les Communistes étaient installés dans le Nord Ouest, loin des campagnes militaires et des zones envahies). Des centaines de films, de séries télé, ont montré sous tous les angles la cruauté japonaise et le courage des chinois (et, jusqu'en 1998, la corruption des nationalistes, on en parle moins maintenant). Imaginons que depuis cinquante ans, un film français sur deux ou trois raconte les gentils résistants et les méchants nazis, avec des scènes extrèmement explicites, nous n'aimerions pas nos voisins allemands. Ajoutez à cela le patriotisme braillard prôné depuis quelques années par le gouvernement comme remède à la crise. The last refuge of scoundrels, comme disait l'autre.

Comme souvent sur l'internet chinois, des consignes sont rapidement descendues. On a vu fleurir, un peu partout, une information, toujours la même, appelant à la modération. Pour ce que j'en ai compris, elle est le plus souvent interprétée comme "réjouissons nous, mais ne le disons pas trop fort".

Depuis deux jours, le discours ambiant, c'est la peur de la radioactivité, et ces salauds de Japonais qui nous polluent.

La grande absente, c'est la compassion. Comme je le disais à une amie chinoise qui s'en désespérait, il est parfois difficile d'aimer la Chine, quand on sait le chinois...


Le même mélange de schadenfreude, de décence hypocrite, et d'égoïsme, se retrouve dans les milieux d'affaires. Les premiers jours, ils ont vendu, les cours se sont effondrés, puis ils ont "chassé les bonnes affaires" (qu'ils avaient créé la veille, qu'on ne me dise pas qu'il faut du talent pour spéculer en Bourse quand on est un gros opérateur). Ces montagnes russes, très rentables, vont probablement continuer quelques semaines. La pire des situations, pour un financier, ce sont des cours qui ne bougent pas. Une bonne catastrophe naturelle, une crise, une famine, en revanche...

L'industrie n'est bien évidemment pas en retard. La présidente d'Areva, Anne Lauvergeon, a réussi a dire, en l'espace de trois jours, que tout allait bien, qu'il n'y avait pas de risque, puis que c'était très grave. Quand elle déclare, ensuite, que le nucléaire français est sûr, ces propos visionnaires n'aident pas...

EDF n'était pas en reste, puisqu'elle communiquait ce matin sur l'aide qu'elle apporte au Japon. C'est bien de le faire, mais s'en vanter, quand on le chantre du tout atome?


Enfin, toujours sur l'internet, il y a les médias. Comme les financiers, ils ont horreur du calme. L'époque était déjà rentable, il y avait les élections, Marine, Khadafi,... Le Japon, ce sont des informations en continu, des rumeurs, des démentis, de nouvelles rumeurs, des interviews d'experts, des commentaires d'internautes, des micro trottoirs, et donc, de l'audience ! A Singapour, Mediacorp, un grand groupe d'information a envoyé aux annonceurs un courrier les invitant à "profiter de l'audience créée par les évènements". L'affaire a provoqué un petit scandale, et Mediacorp a dû s'excuser. En France, mention spéciale à Lagardère, qui annonçait aujourd'hui le report de l'introduction en bourse de Canal +.


Enfin, il y a nos politiques. Nathalie Kosciusko Morizet, plus jeune qu'Anne Lauvergeon, mais apparemment guère plus futée, semble prise d'une frénésie de communication. Trois fois par jour, elle fait une déclaration, qui reprend ce qu'on lit sur l'internet. Tout naturelle, ceci lui a permis de passer de la confiance la plus béate, au catastrophisme le plus affligeant. Les Verts ont flairé l'occasion, à une semaine des cantonales, d'exploiter une actualité écologique. Et voila-t-y pas qu'on nous compare Fessenheim et le Japon...


Pendant ce temps, les japonais comptent leurs morts dans la dignité.


Sur mon internet, il n'y a qu'un endroit qui m'a fait plaisir: le site d'un jeu vidéo sur la Guerre du Pacifique. Une large partie des membres sont des militaires, d'active ou en retraite, surtout américains, qui rejouent Pearl Harbor et Guadalcanal toute la journée. Là, des messages de sympathie sont apparus dès le premier jour, des appels à aider le Japon, et surtout un hommage à ce peuple, courageux et digne dans l'adversité.

lundi 7 mars 2011

Die Hard en Syldavie

Après la mort des époux Ceauscescu, les médias avaient longuement montré le marbre dans leur salle de bain. Après la chute de Marcos, aux Philippines, on avait jasé sur la collection de chaussures de sa femme, Imelda. Et puis, il y a eu les millions en France et en Suisse de Bokassa, de Duvalier, d'Houphouet, ...

C'est fini tout cela. Aujourd'hui, un petit joueur comme Ben Ali prend 3 milliards, un Moubarak 40, et on parle de 120 pour Khadafi. On évoque 40 pour Poutine. Pour la Chine, on ne sait pas, mais vu la taille de l'économie, on peut imaginer quelques "belles réussites".

Comme toujours, quand on parle de milliards, on a du mal à se faire une idée. Voici quelques éléments, tirés du classement Forbes (qui va avoir besoin d'un lifting).

En 2010, les plus grandes fortunes mondiales, c'était, en gros (j'arrondit tout à la dizaine de milliards, on ne va pas chipoter):

- un trio de tête (Slim, Gates, Buffet), tournant dans les 50 milliards de dollars
- une quinzaine de familles entre 20 et 30, avec des gens comme Mittal et Bernard Arnault, Liliane Bettencourt est dans les 20,
- un petit millier de fortunes entre 20 et 1, la famille Dassault vers 8, les Bouygues vers 3, Bolloré un peu au dessus de 1...

Les fortunes de dirigeants (à l'exception de Ben Ali, décidément, il était pas doué, Ben Ali) les placent donc dans le Top 5 mondial, voire, pour Khadafi (et même si les estimations doivent être divisées par deux) au sommet.

A l'heure de la lutte contre le blanchiment, il semble très douteux que de telles sommes (qui n'étaient certainement pas déposées à la Caisse d'Epargne de Tripoli, au Crédit Municipal du Caire, ou à la Banque Populaire de Moscou) soient restées inconnues des dirigeants occidentaux.

Il semblerait donc logique qu'un débat naisse, en Europe, en Amérique du Nord, sur le soutien passif qu'on apporte à ces régimes, les moyens d'y mettre fin, et sur l'attitude à tenir vis à vis de ce genre de pratiques.

Et cela pose une question intéressante sur ces régimes autoritaires dont on nous répète à l'envi qu'ils sont une alternative viable à nos démocraties essoufflées. S'il apparaissait finalement que le propre de ces régimes émergents, c'est justement le fait qu'un petit nombre profite de l'absence de transparence du système pour s'accaparer la richesse nationale, ne devrait on pas les combattre, ou tout du moins ne pas leur donner sur la scène internationale un poids qu'ils ne méritent pas ?

Parce qu'au fond, quelle est la différence entre la Birmanie et sa Junte, et l'Egypte, ou la Russie? Pourtant, celle-ci est au ban de la société internationale, alors que celles là sont considérées comme des interlocuteurs viables. Peut-on imaginer que des individus qui agissent de la sorte avec leur pays puissent jouer un role constructif dans les institutions internationales?

Je sens qu'à ce point, on va m'accuser d'imposer des "normes occidentales", ou me dire "oui mais vous" (enfin, là, je ne risque pas grand chose: personne ne lit ce blog). Aux normes occidentales, j'aurais tendance à répondre qu'on est justement ici dans le cas inverse : ce sont les Lybiens, ou les Egyptiens, pas la CIA, qui chassent leurs brigands en chef, pourtant soutenus par l'occident. Et les principales critiques contre la corruption chinoise ne viennent pas de Paris ou de Washington, qui semblent s'en accommoder, mais de Chine.

"Oui mais vous", c'est le thème de cet article. Si Moubarak avait accumulé quelques millions, ce serait choquant, mais classique. C'est parce que ces fortunes n'ont pas de sens commun, et font de n'importe quel dictateur de province une des premières fortunes mondiales qu'on en parle.



Pourquoi Die Hard? Parce que c'est au fond comme dans les quatre films de la série : le méchant prétend toujours agir pour des raisons politiques, mais à la fin, on se rend compte que c'est juste un grand cambriolage.

mercredi 2 mars 2011

Doute

Un poeme de Duo Yu, traduit il y a quelque temps

Doute

Il piétine mon ombre avec férocité
Et mon cœur se serre
Je lève les yeux, j’aperçois ce visage
Moitié sourire, moitié noirceur
Narines dilatées qui sentent un peu la pourriture
Il pointe du doigt, devant nous
Alors je baisse la tête
A cet instant, le soleil est terrible
Et mon ombre toute petite
A l'époque, le blog de Duo Yu avait été fermé. C'était juste après le Nobel de Liu Xiaobo, et il y avait été un peu fort... Du coup, je n'avais plus accès à ses poèmes récents. Mais je voulais traduire du Duo Yu, alors j'avais trouvé des "vieux" poemes, sur un site...

Je ne sais pas si ma traduction est fidèle... Je sais qu'elle n'est pas complètement fausse, mais elle donne une interprétation, mon interprétation, du texte chinois.

Ce poème me parle parce qu'il évoque l'insatisfaction qu'on ressent, quand on vieillit, vis à vis de ce que l'on fait. Ce visage moitié sourire moitié noirceur, c'est moi, qui regarde mon travail, le méprise, et m'humilie, piétinant mon ombre. Ce poème me plait parce qu'il parle de l'âge. Au fond, la jeunesse, c'est cette certitude naive que tout ce qu'on fait est bien, et digne d'intérêt. Les années amènent le doute, puis le mépris. La vieillesse, c'est le moment où l'on préfère se taire.

Yu Jian dit la même chose, mais plus gentiment:

Quand on travaille
Il y a toujours quelque chose, derrière ou à coté
Qui regarde sans dire un mot
Ou bien fait des grimaces
Mais dont on n’a pas le temps de s’occuper
Peut être que c'est quelque chose n’a pas encore de langue
Peut être, quand j’aurai terminé
Il lui en poussera une

Je crois que je préfère l'âpreté de Duo Yu.

Je ne sais pas si ma traduction est fidèle. Je pourrais interroger l'auteur, mais je crois que je n'en ai pas envie... Peut être que ce que j'aime dans la traduction, c'est justement le mélange de cette irresponsabilité de n'être pas l'auteur, et de cette infidélité potentielle.