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mercredi 16 mars 2011

Courage, vendons!

On dit que c'est dans l'épreuve qu'on reconnait ses amis. On dit aussi que c'est face à la catastrophe que les individus révèlent leur courage. Les évènements du Japon me paraissent démontrer l'inverse. Scènes vues sur le bout d'Internet où je traîne.

Sur les forums chinois, la réaction initiale semble avoir été la joie. Haineuse, vulgaire et nationaliste... Toute répugnante qu'elle soit, cette réaction n'est pas complètement étonnante. La lutte anti-japonaise est un des mythes fondateurs de la République Populaire (je dis mythe, parce pendant la plus grande partie de la guerre, les Communistes étaient installés dans le Nord Ouest, loin des campagnes militaires et des zones envahies). Des centaines de films, de séries télé, ont montré sous tous les angles la cruauté japonaise et le courage des chinois (et, jusqu'en 1998, la corruption des nationalistes, on en parle moins maintenant). Imaginons que depuis cinquante ans, un film français sur deux ou trois raconte les gentils résistants et les méchants nazis, avec des scènes extrèmement explicites, nous n'aimerions pas nos voisins allemands. Ajoutez à cela le patriotisme braillard prôné depuis quelques années par le gouvernement comme remède à la crise. The last refuge of scoundrels, comme disait l'autre.

Comme souvent sur l'internet chinois, des consignes sont rapidement descendues. On a vu fleurir, un peu partout, une information, toujours la même, appelant à la modération. Pour ce que j'en ai compris, elle est le plus souvent interprétée comme "réjouissons nous, mais ne le disons pas trop fort".

Depuis deux jours, le discours ambiant, c'est la peur de la radioactivité, et ces salauds de Japonais qui nous polluent.

La grande absente, c'est la compassion. Comme je le disais à une amie chinoise qui s'en désespérait, il est parfois difficile d'aimer la Chine, quand on sait le chinois...


Le même mélange de schadenfreude, de décence hypocrite, et d'égoïsme, se retrouve dans les milieux d'affaires. Les premiers jours, ils ont vendu, les cours se sont effondrés, puis ils ont "chassé les bonnes affaires" (qu'ils avaient créé la veille, qu'on ne me dise pas qu'il faut du talent pour spéculer en Bourse quand on est un gros opérateur). Ces montagnes russes, très rentables, vont probablement continuer quelques semaines. La pire des situations, pour un financier, ce sont des cours qui ne bougent pas. Une bonne catastrophe naturelle, une crise, une famine, en revanche...

L'industrie n'est bien évidemment pas en retard. La présidente d'Areva, Anne Lauvergeon, a réussi a dire, en l'espace de trois jours, que tout allait bien, qu'il n'y avait pas de risque, puis que c'était très grave. Quand elle déclare, ensuite, que le nucléaire français est sûr, ces propos visionnaires n'aident pas...

EDF n'était pas en reste, puisqu'elle communiquait ce matin sur l'aide qu'elle apporte au Japon. C'est bien de le faire, mais s'en vanter, quand on le chantre du tout atome?


Enfin, toujours sur l'internet, il y a les médias. Comme les financiers, ils ont horreur du calme. L'époque était déjà rentable, il y avait les élections, Marine, Khadafi,... Le Japon, ce sont des informations en continu, des rumeurs, des démentis, de nouvelles rumeurs, des interviews d'experts, des commentaires d'internautes, des micro trottoirs, et donc, de l'audience ! A Singapour, Mediacorp, un grand groupe d'information a envoyé aux annonceurs un courrier les invitant à "profiter de l'audience créée par les évènements". L'affaire a provoqué un petit scandale, et Mediacorp a dû s'excuser. En France, mention spéciale à Lagardère, qui annonçait aujourd'hui le report de l'introduction en bourse de Canal +.


Enfin, il y a nos politiques. Nathalie Kosciusko Morizet, plus jeune qu'Anne Lauvergeon, mais apparemment guère plus futée, semble prise d'une frénésie de communication. Trois fois par jour, elle fait une déclaration, qui reprend ce qu'on lit sur l'internet. Tout naturelle, ceci lui a permis de passer de la confiance la plus béate, au catastrophisme le plus affligeant. Les Verts ont flairé l'occasion, à une semaine des cantonales, d'exploiter une actualité écologique. Et voila-t-y pas qu'on nous compare Fessenheim et le Japon...


Pendant ce temps, les japonais comptent leurs morts dans la dignité.


Sur mon internet, il n'y a qu'un endroit qui m'a fait plaisir: le site d'un jeu vidéo sur la Guerre du Pacifique. Une large partie des membres sont des militaires, d'active ou en retraite, surtout américains, qui rejouent Pearl Harbor et Guadalcanal toute la journée. Là, des messages de sympathie sont apparus dès le premier jour, des appels à aider le Japon, et surtout un hommage à ce peuple, courageux et digne dans l'adversité.

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